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par conscience et par humanité je subissais comme eux. Ces pauvres enfants et moi, nous sortions de ces étuves rouges comme des homards cuits. Ces souffrantes ébauches des formes humaines poussaient des cris que n’ont pu me faire oublier les points d’orgue de madame Damoreau, la voix si intelligente de Nourrit et le chant si expressif de Duprez.

J’ai certainement fait dans une année l’autopsie de plus de cent cinquante nouveau-nés ; j’ai étudié dans une cuiller les gouttelettes de lait de plus de deux cents nourrices, que l’administration des hôpitaux envoyait recruter dans nos provinces. On les amenait et on les remmenait avec leurs nourrissons dans des voitures construites pour ces fréquents voyages. Ce n’était qu’après cet examen qu’on leur confiait au plus vite les enfants dont le séjour prolongé à l’hospice était toujours dangereux, malgré les soins de ces pieuses sœurs, si pleines de tendresse pour cette nombreuse famille adoptive. Il y avait bien loin de tous ces spectacles du matin, dans les amphithéâtres et dans les hôpitaux, aux spectacles du soir que je dirigeai plus tard dans les coulisses de l’Opéra, où se produisaient cependant aussi quelques nouveau-nés, mais très-peu de bonnes nourrices.

Je dus pourtant renoncer à mon avenir de médecin et surtout à mes ambitions de professorat. Ce fut de ma propre volonté que je divorçai avec la médecine. Voici à ce sujet ce qui arriva.

La Faculté de médecine de Paris comprenait une école pratique : j’y avais été admis après examen. Chaque année, les élèves de l’école pratique concouraient pour des prix d’anatomie, d’histoire naturelle, de phy-