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et par tous les gouvernements. Dans les crises on lui demandait des projets et des millions, et pour lui prendre ses millions, on aidait ses projets ; mais les mauvais jours passés, on disputait et on refusait à Ouvrard les bénéfices plus ou moins raisonnables qu’il s’était ménagés et auxquels lui donnaient droit des textes de traités et le mérite du succès.

La vie d’Ouvrard rappelle celle de Beaumarchais, non du Beaumarchais homme de lettres et poëte comique, mais du Beaumarchais homme d’affaires, du Beaumarchais se faisant munitionnaire général des États-Unis, éditant Voltaire, plaidant avec le parlement, plaidant avec l’Amérique qui était juge et partie dans sa propre cause, plaidant avec tout le monde, et, eu fin de compte, calomnié, emprisonné et ruiné.

L’empereur écoutait Ouvrard, et il se trouva bien à certains jours de ses secours et de ses inventions financières.

Ouvrard avait étudié, calculé tout le pouvoir de l’argent sur le cœur humain. On eût pu croire qu’il avait étudié sous ce professeur de chimie qui nous disait : L’or a la propriété de réjouir la vue de l’homme. Pendant la guerre d’Espagne de 1823, la veille du jour où son service comme munitionnaire général devait commencer, il arrive à Tolosa. L’armée bivouaquait dans les faubourgs : pas de magasins, pas de subsistances ; Ouvrard est vivement interpellé : « Demain, dit-il, l’armée recevra ses distributions ordinaires. — Il faut dix jours de vivres pour le deuxième corps. — Demain le deuxième corps recevra ses dix jours de vivres. »

Ouvrard fait appel aux autorités, aux ecclésiastiques,