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les plaisirs les plus courts et les plus frivoles. Ce fut le temps des mystificateurs célèbres ; on citait surtout un certain Musson et le comédien Frogères.

Mademoiselle Bourgoin me raconta qu’un des riches fournisseurs de l’armée lui prépara de longue main la mystification suivante. Ce fournisseur donna un dîner à grand gala pour recevoir l’ambassadeur turc, alors à Paris. Le munitionnaire général prévint mademoiselle Bourgoin avec beaucoup de ménagements que les mœurs turques différaient beaucoup des nôtres. « Ainsi, vous ne vous formaliserez pas, lui dit-il, si pendant le dîner l’ambassadeur, dans son admiration pour vos beaux yeux, vous offre à plusieurs reprises des bourses remplies de sequins ; il n’aura l’intention ni de vous blesser ni de vous manquer de respect. — Mon Dieu, puisqu’il n’aura pas l’intention de me manquer de respect, je me résignerai à accepter les bourses remplies de sequins. » Au dessert, l’ambassadeur turc ôta sa barbe et reprit sa monnaie de cuivre pour aller jouer ailleurs la même mystification.

Cette société, dont nous essayons de rappeler les principaux traits, n’était ni impie ni athée ; elle vivait indifférente en matière de religion ; cependant la religion tenait une grande place dans les mœurs officielles. On était loin d’être privé de Te Deum ; les préfets et tous les fonctionnaires avaient ordre d’assister aux offices divins ; ils obéissaient plutôt à l’empereur qu’à Dieu, et un préfet de l’empire, qui administra longtemps avec intelligence un de nos départements du midi, et qui vit encore, me racontait qu’il assistait très-régulière-