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préoccupation ni ma tristesse. » Le médecin se prêtait innocemment à ce mensonge, sans en soupçonner le honteux calcul. La madame Patin de ce nouveau chevalier à la mode n’en dormait pas : elle priait, elle pleurait, elle voulait arracher des lèvres trop discrètes de son amant ce fatal secret. Enfin l’heure des explications sonnait, et on disait tout : « J’ai des créanciers (quelquefois même c’étaient des créancières), et ma famille, que je ne veux plus voir, met des entraves invincibles à l’aliénation d’une partie de mes biens, qui sont assez considérables. Elle rend même impossible toute hypothèque. — N’est-ce que cela ? Mon homme d’affaires ira demain matin prendre vos ordres. » On m’assura que ce jeune seigneur, qui n’eut jamais de biens que ceux d’autrui, dans les heures des plus douces intimités, ne craignait pas d’appeler cette généreuse amie : Mon trésor !

J’ai recueilli de la bouche d’un de ces jeunes et brillants oisifs, prodigues des fortunes à venir, un prône que lui fit son père. Ce père récalcitrant avait brillé par plus d’un duel et s’était enrichi par plus d’un métier sous le directoire et au commencement de l’empire. Son fils, endetté, lui avoue un passif de cent mille francs ! « Comment avez-vous pu dépenser cent mille francs ? — Mais, mon père, un cabriolet, des maîtresses ! Cela va bien vite. — Comment ! des maîtresses ! À votre âge se ruiner pour des maîtresses ! À votre âge et dans mon temps, monsieur, c’étaient nos maîtresses qui payaient nos cabriolets et se ruinaient pour nous ! »

La première vertu, sous l’empire, c’était le courage !