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ration faite sans bruit, le baron montre la dent arrachée : « Vous pouvez constater que c’est l’affaire d’une seconde, et qu’il n’y paraît pas. »

Élégant, bien fait, et d’une sympathique figure, le baron Capelle était entré, dans sa jeunesse, comme simple employé au ministère de l’intérieur, sous le comte Chaptal. Il rencontre un jour, dans l’antichambre du chef de bureau des théâtres, une jeune personne dont les beaux yeux étaient mouillés de larmes, et dont les vêtements avaient subi un certain désordre ; il s’approche, il s’enquiert, et reconnaît mademoiselle Bourgoin : elle venait de débuter à la Comédie-Française. « Que vous est-il arrivé ? — Je sors du bureau de M. Esménard, qui vient de se conduire envers moi avec la plus effrayante brutalité. » À mesure qu’elle racontait, ses larmes cessaient de couler, et elle regardait avec émotion son inattendu protecteur. « Encore, ajouta-t-elle d’une voix douce, si cet Esménard était moins laid ! » Le jeune Capelle raconta l’anecdote au comte Chaptal, et le ministre de l’intérieur se laissa entraîner à faire de la science et de la chimie pendant plusieurs années avec cette séduisante pensionnaire du Théâtre-Français. En peu de temps, elle devint sociétaire.

Le cœur d’une femme une fois cavalièrement conquis, le naturel de ces Richelieu bottés et éperonnés revenait au galop. On ne parlait que de jeter les maris par la fenêtre, et souvent on battait les femmes. Le comte Montrond, ce Rivarol des salons sous le directoire et sous l’empire, et dont l’esprit toujours en verve charmait le prince de Talleyrand et lui profitait, le comte Montrond,