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trois lettres d’un brillant officier, de M. Dubois Crancé, chef de brigade du ler régiment de chasseurs à cheval.

Ces trois lettres, datées de l’an viii de la république française, sont des récits précis et authentiques de ces temps-là.

Nous n’en retranchons pas un mot.


Paris, le 12 pluviôse an viii.
Rue Vivienne, hôtel des Étrangers.

« Je ne t’ai pas écrit dès mon arrivée, mon ami : on a tant de choses à faire dans ce grand pays ; on est si fatigué à la fin de la journée !

» D’abord j’arrive en maudissant la détestable voiture de ton beau-père, qui nous retint douze heures à l’hôtel, et qui enfin nous conduisit, tant bien que mal, ballottés et rompus, le troisième jour à Paris ; une bonne nuit, un bain et la toilette réparèrent tout cela le lendemain, et je me mis en courses. Je fus fort bien reçu chez les généraux, et Lefebvre me proposa de me mener chez le consul ; Chabaud devait aussi m’y mener, je le priai de l’en prévenir. Enfin, hier, j’y fus à l’heure du rapport avec le général Lefebvre. J’avoue que j’étais intimidé, mais son air affable me mit bientôt à mon aise ; il me dit : On m’a parlé de vous, je suis bien aise de vous voir ; venez dîner demain avec moi. J’irai donc aujourd’hui, et j’examinerai avec plus de suite cet homme extraordinaire. Il travaille dix-huit heures par jour. Le tour des ministres ne vient que le soir : « La nuit est longue, » dit-il. En effet, il n’est jamais couché avant quatre heures du matin ; il tient six ou sept conseils d’Etat par décade, et y discute lui-même sur tous les objets