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vins, et la carte détaillée ne s’élève qu’à sis francs. Ce jonr-là, c’était le cuisinier devenu riche qui avait traité le fermier général devenu pauvre.

On se souvient encore de Méot, de Legacque, des frères Véry, d’Henneveu et de Baleine pour leurs entrées, pour leur marée, pour leur broche et pour leurs premiers crus.

La table de Cambacérès donnait le ton à la cuisine d’alors. L’archichancelier était assisté à chacun de ses dîners de deux gourmands de profession, de d’Aigrefeuille et du marquis de Ville-Vieille. Cambacérès, voyant un jour d’Aigrefeuille se ruer sur un plat des plus savants, lui dit : « D’Aigrefeuille, vous allez vous donner une indigestion ! — Je le sais, monseigneur. »

J’ai souvent vu Cambacérès, accompagné de d’Aigrefeuille et du marquis de Ville-Vieille, au sortir de ces festins, promener dans les galeries du Palais-Royal, en habits brodés, le second pouvoir de l’État, peut-être plus craint que respecté. Le pauvre d’Aigrefeuille, toujours trop repu, en passant devant le café de Foy, faisait un salut ; on savait ce que ce salut voulait dire : on lui apportait un verre d’eau glacée, qu’il buvait dans la galerie, pour regagner au plus vite la compagnie de son hôte illustre.

La cour des Tuileries offrait un éclatant contraste avec ces habitudes de gloutonnerie. L’empereur y donnait l’exemple de la tempérance et de la frugalité ; le dîner y durait peu. Les invités, c’était l’usage, dînaient avant ou dînaient après ces repas officiels.

Je suis assez heureux pour pouvoir publier à ce sujet