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la fantaisie de rester longtemps vieillards, et qui s’acharnent à mourir le plus tard possible.

Tous les médecins sont gens d’esprit, et tous les gens d’esprit sont un peu médecins. Rivarol disait avec justesse : « Quand on est jeune, il faut trois jours de sagesse pour réparer trois mois d’excès ; quand on est vieux, pour réparer trois jours d’excès, il faut trois mois de sagesse. »

Les théories sont le fléau de la science. Eh bien ! il s’improvise, parmi les gens du monde, plus de théories médicales que parmi les savants. Sans cesse préoccupé de l’inévitable nécessité de mourir, chaque vieillard a une théorie pour prolonger ses jours ; chacun a le secret de se bien porter. L’un se couche matin et se lève tard, fait de la nuit le jour, et du jour la nuit ; l’autre, satellite du soleil, se couche de bonne heure et se lève matin. Pour celui-là, la santé c’est la marche, la chasse, ce sont les fatigues du corps ; pour celui-ci, c’est une sobriété extrême, de l’eau à peine rougie et un éternel poulet rôti. Pour ce Duchesne dont parle Saint-Simon, c’était de la salade le soir et du vin de Champagne. Pour mon ami Rosman, c’était son bureau. Pour Tuffiakin, c’était du vin de Madère trempé d’eau et ses amourettes.

L’esprit et le corps humains obéissent à une loi souveraine, à la loi de l’habitude ; et enfreindre cette loi lorsque l’âge glace les réactions physiques et morales, c’est introduire le désordre dans toute notre économie, dans tous nos organes, dans toutes leurs régulières fonctions.

Mon ancien maître Breschet, mort il y a peu d’années, homme fort savant, très-modeste et très-aimé, fut un jour chargé par une famille d’une mission très-délicate.