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empruntées. — La naïveté, c’est la candeur intellectuelle d’un homme très supérieur ; sans ce voile d’innocence ou plutôt d’hébétude qui les couvre (ainsi La Fontaine et Balzac), ils arriveraient droit au suicide. L’écœurement de la vie réelle empêcherait l’éclosion de la vie intellectuelle. La naïveté du génie, c’est le voile des dieux de l’Olympe, un nuage qui intercepte délicatement les terribles rayons solaires de l’aveuglante réalité.

Un écrivain sublime doit voir ce monde grâce à une vision interne, par une perception de rêveur engourdi comme un fumeur d’opium. Dans cet être puissant congestionné par la pensée, peu sensible au choc direct des choses extérieures, vit un cerveau en ébullition où passe un souffle violent comme en un creuset de forges ; la vie est réflexe, l’homme génial est aussi loin de l’idéal féminin qu’il est prés de Dieu par la création de son œuvre.

Ce qu’il faudra à ce colosse tout en soi, ce n’est pas vous, mondaine babillarde, qui seriez vite meurtrie entre l’enclume et le marteau de ce rude forgeron ;… c’est encore moins vous, femme de lettres, qui rêvez de voir cet hercule filer à vos pieds l’indigo de vos bas ;… ce n’est pas vous, Aspasie d’atelier, qui partiriez d’un beau rire vis-à-vis des simplicités de ce Goliath ; ce qu’il lui faut, c’est une brave fille ayant elle-même toutes les naïvetés de la nature, tout le naturel de l’esprit, une Martine bien