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douces d’Europe, en toilette de gala, dans les vieux carrosses démodés, sortes de landaus de noces où, par quatre, elles sont encloses. L’eunuque noir est sur le siège aux côtés du cocher ; les voitures s’arrêtent et à travers les portières aux vitres baissées, on découvre, sous le voile transparent, ces visages de poupées enduits de blanc et de rouge ; leurs grands yeux naïfs, sans expression, s’intéressent aux moindres riens ; muettes et rigides, elles se dérident devant les pitoyables grimaces d’un nègre qui contrefait la danse du ventre avec les cris inarticulés des ministrels anglais. On a la sensation que donnent ces voitures cellulaires promenant les recluses d’une prison centrale. Grasses comme des carlins en chambre, elles sont affaissées et veules, mâchant quelques bonbons à la crasse confectionnés dans le vieux Stamboul, humant de l’air pour huit jours, s’il ne plaît à Sa Grandeur de les laisser sortir, — Là défilent, de deux heures à quatre heures, toutes les impératrices du Levant, les plus hautes favorites ou les sultanes Validé qui sont les invalidées de l’amour, et si, comme un écho dans la mémoire, il vous revient quelques stances berceuses des Orientales, on ne peut retenir sur ses lèvres un triste sourire de pitié.

Le soir, au soleil couchant, lorsqu’on revient dans son caïque, parmi les barques chargées de musiciens et de chanteurs et qu’on entend tout le long de la Corne d’Or ces mélopées traînardes et déli-