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allemands. — Il me lut tout un rapport statistique établissant, avec logique et clarté, l’état précaire de notre librairie dans les principales villes des Pays-Bas, et prouvant avec une triste vérité la prospérité chaque jour grandissante des importations de Stuttgart, de Munich, de Berlin, de Leipzig, de Cologne et de Francfort. Il me démontrait que depuis l’année cruelle, on vendait deux tiers en moins de livres français chez ses compatriotes, et il pensait qu’à cette situation désastreuse il était possible d’opposer un remède efficace avec l’énergie et le dévouement de plusieurs patriotes parisiens décidés à suivre la voie qu’il était en mesure de leur indiquer.

Je me mis avec empressement au service d’une idée aussi juste et noble, et je lui fournis aussitôt des lettres de crédit pour les personnes que je jugeais les mieux en position de nous seconder dans cette véritable guerre des influences intellectuelles de la France contre la Germanie.

Van der Boëcken me quitta avec promesse de m’accorder plusieurs soirées au sortir de ses plus urgentes occupations. — Mais ce fut la dernière fois que je vis sa tête de Moine des Croisades. — Six jours après cette visite, je recevais de Rotterdam une lettre assez crânement philosophique, dans laquelle l’infortuné archiviste m’annonçait, de son lit, à la fois sa maladie et sa mort.

« Croyez-vous, m’écrivait-il en substance, que j’ai été assez malavisé l’autre matin, en vous quittant, pour rencontrer la camarde dans un vent