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mait et se condensait sur une caractéristique figure d’homme qui, bien souvent, me hanta aux heures de rêveries sur l’insondable mystère humain. Voici cette histoire telle que je la contai ce soir-là :


II


Au cours d’une promenade au pays de Rembrandt et de Franz Hals, il y a cinq ans environ, j’arrivai à Rotterdam par ce merveilleux itinéraire de canaux et de fleuves, exploité par les bateaux-Télégraphes de l’honnête Van Maenen, d’Anvers. — Me trouvant seul et assez malhabile au parler néerlandais, étourdi par les premières luttes avec les Ali-Baba du change monétaire, un peu gifflé aussi par l’air de l’Escaut et de la Meuse parcourus de nuit et de matinée, je m’empressai de me réfugier au Musée, dans la solitude des grandes salles à peine troublées par le pas cadence des gardiens. — J’eus vite terminé ma visite à cette médiocre pinacothèque remplie de peintures restaurées et sans haute valeur, et j’allais me retirer lorsqu’un petit tableau, dans la manière de J. Steen, attira mes regards : sur le cadre brillait le nom très inconnu du peintre Van der Boëcken.

Van der Boëcken !… J’épelais ce nom, curieux d’y accrocher un souvenir. Van der Boëcken !… — Pardieu ! me dis-je tout à coup, soliloquant à haute voix par plaisir d’entendre ma propre langue à l’étranger, Van der Boëcken, mais j’y suis, mon cher, je n’y songeais point ; ce nom d’antique rapin évoque à mon esprit un Van der Boëcken, bien vivant, Archiviste-Bibliothécaire municipal de Rotterdam : et je me rappelai