volontiers je vous remettrai ce crâne trépané et tous les papiers dont je viens de vous fournir le résumé. Après deux cent trente-six ans d’exil sur la terre étrangère, j’estime que votre ancêtre aurait quelque droit à être définitivement hospitalisé sur le sol natal. — N’est-ce pas votre avis ?
— Mon Dieu, cher comte, vous êtes l’amabilité, la courtoisie même,
et j’apprécie votre généreuse proposition ; mais il n’y a rien de plus encombrant
que les morts, rien de plus difficile à caser, et je sais ce qu’il
me faudrait de démarches pénibles et réitérées pour ne pas réussir à faire
admettre cette superbe figure de guerrier dans le plus modeste de nos
Panthéons. La famille, vous avez pu vous en convaincre, a fait la sourde
oreille, nos gouvernants feraient de même, et je craindrais de ne pouvoir
forcer la porte de nos musées ou de nos nécropole. Resterait donc le souci
de conserver à la maison, à titre de bibelot historique, cette mâle tête
d’assaillant, et ici, je vous l’avoue, je ne serais pas assuré de ma propre
sensibilité. — Je suis un solitaire, et, comme beaucoup de solitaires, très
accessible aux idées du surnaturel ; je ne crois réellement ni aux esprits,
ni aux revenants, ni aux manifestations de l’autre monde ; mais il ne me
déplaît pas de m’envelopper l’âme d’une chemise de mystère et de rechercher
des phénomènes d’outre-vie ; les ténèbres, le silence, les bruits
incertains éveillent en moi
des frissons d’inconnu dans
lesquels je me complais,
parce qu’ils agitent en mon
être des sensations dramatiques
que je ne saurais formuler .
Des que sais-je ? et des
peut-être ! troublent mon
incrédulité et je reste délicieusement
vibrant aux inquiétudes
de la nuit, au murmure
du vent, au craquement des
meubles parce que je les sais
sans cause anormale. — Si je
possédais chez moi, dans un
coffret de cèdre ou dans le
coin d’un meuble, la belle
tête momifiée de Bernard
d’Harcourt, je ne vivrais plus
dans le dilettantisme du mystère ;
j’attribuerais à l’influence du mort tous les menus événements qui
peuplent ma vie contemplative, et je ne saurais comment me défaire de
cet hôte gênant.
Je ne vous demanderai donc pas, dis-je en terminant, un inutile