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Scarron et je négligeai de le maltraiter : — véritable magicienne, vous veniez, par cette seule évocation de Ninon, de me reporter de deux siècles en arrière, parmi cette société polie ou les petits poètes, même, savaient donner de si galantes étrennes.

Je revis Ninon, sa cour brillante et ses passants de qualité : le Comte de Collgny, le Chevalier de Grammont, les Marquis de La Châtre et de Sévigné, le Prince de Condé, l’Abbé de Chaulieu, Villarceaux, Gourville, Saint-Évremont et tant d’autres.

Je n’étais plus chez vous, Baronne, je me trouvais en plein Marais, dans la ruelle de cette impure adorable, de cette femme, trois fois femme, par le cœur, l’esprit, l’inconstance et la frivolité. — J’étais environné de beaux esprits, parmi lesquels votre cher Scarron, alors ingambe, alors petit collet, courant de groupe en groupe avec cette bonne humeur, cette gaieté bouffonne et cet atticisme pimenté de sel gaulois.

Vous paraissiez de même songer à tout cet autre âge, vos rêves avaient repris leurs ébats mutins, et votre œil noir reflétait purement le temps jadis.

Alors, je vous pris la main, petite Baronne, et pendant un temps incalculable, tous deux nous comprenant, tous deux vivant une autre vie, toute une époque évoquée, nous restâmes rêveurs, sans mot dire, murmurant faiblement en cadence :

Ô belle et charmante Ninon…

Lorsque nous sortîmes de notre torpeur, quel assaut de souvenirs !