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à honneur de vous avertir que j’ai un furieux tendre pour les vers de ce cul-de-jatte rabelaisien.

— Ce furieux tendre est un goût perverti, et permettez-moi d’avancer, à ce sujet, mon humble avis, contrôlé et appuyé par…

Mais le livre déjà était ouvert ; — placée dans l’attitude du Mascarille des Précieuses ridicules, et avec des grâces toutes féminines, vous tendiez le volume en avant d’une main, tandis que de l’autre, un doigt levé, vous m’imposiez silence. « Oyez, je vous prie, me dites-vous. »

Je vous mangeais des yeux tant vous étiez divine, ainsi posée, ô ma belle précieuse ! et, maîtrisant mon émotion, j’écoutai :

À MADEMOISELLE DE LENCLOS
estrennes

Ô belle et charmante Ninon,
À laquelle jamais on ne répondra : Non,
Pour quoi que ce soit qu’elle ordonne.
Tant est grande l’autorité
Que s’acquiert en tous lieux une jeune personne,
Quand avec de l’esprit elle a de la beauté.
Ce premier jour de l’an nouveau,
Je n’ai rien d’assez bon, je n’ai rien d’assez beau
De quoi vous bastir une Estrenne ;
Contentez-vous de mes souhaits :
Je consens de bon cœur d’avoir grosse migraine
Si ce n’est de bon cœur que je vous les ay faits.
Je souhaite donc à Ninon
Un mary peu hargneux, mais qu’il soit bel et bon,
Force gibier tout le carême,
Bon vin d’Espagne, gros marron,
Force argent, sans lequel tout homme est triste et blesme,
Et qu’un chacun l’estime autant que fait Scarron.


Tudieu ! avec quelle émotion vraie vous récitâtes ces vers burlesques ; quelle voix chaude et vibrante, quelles intonations senties, et que votre regard était vif, pendant la lecture de ces Estrennes ! J’oubliai presque