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supposera presser la main de Sylvie, à baiser tendrement cette main qui s’abandonne, il croit avoir ville prise, et il lui montre souligné ce vers, commençant une petite pièce fort médiocre :

Je sais aimer, vous savez plaire…

Fausse manœuvre ; cette fadeur a soudain refroidi Sylvie, qui riposte par ces deux vers légèrement modifiés au crayon, une véritable douche d’eau froide pour le madrigulîsant officier :

Non, Céladon perdroit et son temps et sa peine,
Ses plus longues amours vont jusqu’à ta huitaine.

Bourgogne-Cavalerie repart en guerre :

Tu fuis l’amour, belle Thémire ;
On n’échappe point a ses fers…

Mais Sylvie secoue la tête d’un air désenchanté ; elle se souvient d’une trahison, la pauvre Sylvie, et d’une ligne légèrement tremblée elle souligne ces vers :

À l’amitié tu fis verser des larmes
Et gémir tendrement l’amour !

Lui.

De grâce, laisse-moi le tourment qui m’accable ;
Oh ! ton sensible cœur me reste impitoyable !
Aux mortelles langueurs d’un incurable amour
Laisse-moi me livrer jusqu’à mon dernier jour !

Elle.

De ses destins l’homme se plaint sans cesse…

Lui.

Falloit-il l’adorer et la fuir pour toujours ?
Eh ! pouvois-je échapper au feu qui me dévore ?
Ses attraits, sa douceur, ses précoces talents.
Et sa voix si touchante et ses regards brûlants…

Bourgogne-Cavalerie s’emballe, c’est lui qui devient brûlant ; Elle essaye de glisser encore un mot ironique :

De tout revers prompt à te consoler…

Évidemment, sur ce mot elle s’est levée pour quitter la charmille. Peut-être quelque amie en villégiature aux Islettes, quelque parente, quelque petite comtesse ou marquisette, est-elle venue déranger le duo poétique par son babillage, ou bien peut-être tout simplement le soir venait-il, le soleil commençant à baisser derrière les collines, une brise