bizarre, musqué, enveloppa Je mystère ; je pensais que cet être singulier
n’était pas, à coup sûr, le premier venu ; sa physionomie
seule m’intriguait particulièrement, et sous
la sénilité vainement dissimulée de sa démarche,
je pressentais un Bibliophile d’une race à part.
Grand, droit, corseté dans une longue houppelande lui tombant aux talons ; le soulier mince, effilé, découvrant le bas de soie, le visage rasé, maquillé, poudrederizé, les cheveux frisés et pommadés, le monocle d’or dans l’orbite droite, relevant la paupière affaissée sur un œil éteint ; le chapeau incliné sur l’oreille, la cigarette aux dents et le stick en main, il me rappelait, dans la pénombre du souvenir, cet admirable type de vieux beau, si magistralement crayonné par Gavarni, avec cette légende spirituelle et réaliste : « Mauvais sujet qui pourrait rire son propre grand-père. »
À peine arrivait-il dans une librairie,
qu’il jetait un regard apeuré tout alentour ;
si une dame s’y tenait, assise au comptoir, il semblait agité, nerveux,
vivement préoccupé ; son malaise
se manifestait part des mouvements
d’impatience accentués et des tics
involontaires qui brisaient, en
l’écaillant, l’épaisse couche de fard
étendue sur ses joues. — On
devinait qu’il eut voulu être seul,
dans une causerie d’homme à
homme ; aussi ne disait-il au
libraire que ces simples paroles :
« L’avez-vous ? — Non, répondait-on.
— Pensez-y, n’est-ce pas ? »
reprenait-il avec découragement, et
il se retirait. — Un coupé de couleur
claire, tendu à l’intérieur de lampas
rose broché d’argent, l’attendait à
la porte ; notre Bibliophile marquis
de Carabas y montait ; la portière
se refermait, et le cocher poudré à
frimas avait à peine fouetté l’alezan
qui piaffait, que l’attelage déjà disparaissait au loin. C’était une vision.