et de si étranges changements partout, ont bizarrement et diversement
modifié ces deux physionomies. Dieudonné Bigard, très gros avant
89, et que son assiduité à la table de
travail menait à l’apoplexie, est devenu
peu à peu maigre et bilieux. Le chevalier
de Valferrand, fin et musqué,
tempérament sec et maigre, aux mollets
en petites flûtes, s’est bardé de
graisse au contraire et a gagné un
embonpoint extraordinaire.
— Le malheur engraisse, dit-il, quand il rencontre le citoyen Bigard.
— Les inquiétudes patriotiques maigrissent ! répond Bigard.
À la réflexion, ces modifications
d’acabit s’expliquent. Bigard n’a eu
que trop de raisons pour maigrir.
D’abord, la diminution ou la suppression
totale de ses revenus. Plus de librairies, plus de travaux de
littérature ; les grandes publications d’érudition commencées avant 89
sont abandonnées, les presses ne produisent aujourd’hui que brochures
politiques ou gazettes populaires aux polémiques enflammées. Bigard
n’a donc plus de motifs pour rester cloué à son pupitre, et il est forcé
par le malheur des temps de supprimer assez souvent un repas sur
deux, le dîner ou le souper, au
choix de son estomac. De plus,
comme il habile le faubourg du
Roule, il occupe ses loisirs en herborisations
et promenades à la campagne
dans les Champs-Élysées, aux
heures où il n’y a pas à craindre
d’être détroussé pur les voleurs.
L’embonpoint nouveau et inespéré de Valferrand, demeuré sec Jusqu’à cinquante ans, s’explique aussi aisément. M. le chevalier de Valferrand, qui sortait beaucoup jadis, se claquemure au contraire avec soin depuis ces dernières années ; il s’efforce de vivre oublié au fond d’un petit logement de faubourg tranquille, trouvant l’orage bien long et dormant le plus longtemps possible pour raccourcir les jours et pour oublier ses affres perpétuelles. Horatius Bigard et Val-