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même immeuble une infinité de tuyaux qui partiront de son magasin d’audition, sorte d’orgue porté en sautoir pour parvenir par les fenêtres ouvertes aux oreilles des locataires désireux un instant de distraire leur loisir ou d’égayer leur solitude.

« Moyennant quatre ou cinq cents par heure, les petites bourses, avouez-le, ne seront pas ruinées et l’auteur vagabond encaissera des droits relativement importants par la multiplicité des auditions fournies à chaque maison d’un même quartier.

« Est-ce tout ?… non pas encore, le phonographisme futur s’offrira à nos petits-fils dans toutes les circonstances de la vie ; chaque table de restaurant sera munie de son répertoire d’œuvres phonographiées, de même les voitures publiques, les salles d’attente, les cabinets des steamers, les halls et les chambres d’hôtel possèderont des phonographotèques à l’usage des passagers. Les chemins de fer remplaceront les parloir-cars par des sortes de Pullman circulating Libraries qui feront oublier aux voyageurs les distances parcourues, tout en laissant à leurs regards la possibilité d’admirer les paysages des pays traversés.

« Je ne saurais entrer dans les détails techniques sur le fonctionnement de ces nouveaux interprètes de la pensée humaine, sur ces multiplicateurs de la parole ; mais soyez sûr que le livre sera abandonné par tous les habitants du globe et que l’imprimerie cessera absolument d’avoir cours, en dehors des services qu’elle pourra rendre encore au commerce et aux relations privées, et qui sait si la machine à écrire, alors très développée, ne suffira pas à tous les besoins.

— Et le journal quotidien, me direz-vous, la Presse si considérable en Angleterre et en Amérique, qu’en ferez-vous ?

— N’ayez crainte, elle suivra la voie générale, car la curiosité du public ira toujours grandissant et on ne se contentera bientôt plus des interviews imprimées et rapportées plus ou moins exactement ; on voudra entendre l’interviéwé, ouïr le discours de l’orateur à la mode, connaître la chansonnette actuelle, apprécier la voix des divas qui ont débuté la veille, etc.

« Qui dira mieux tout cela que le futur grand journal phonographique ?