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Et plus bas, d’une autre écriture :

« Pornic, 1793. »

Les Islettes ! Beauval ! deux noms familiers. Le dernier n’évoque d’abord que l’idée d’une vulgaire ville de fabriques à quelque trente lieues de Paris, une ville de noires usines, de cheminées de briques crachant dans le ciel bleu des tourbillons de fumée sale, une petite ville jadis riante et gaie, parée d’un manteau de verdure et traversée par une petite rivière qui se contentait alors de faire tourner, en les lutinant au passage, les roues d’innocents moulins à farine, aujourd’hui pauvre petite ville noircie, bruyante, respirant l’huile chaude et le charbon de terre, vouée au dur travail, secouée par les courroies de transmission, les chaudières, les pistons, haletant sous les griffes de fer du monstre moderne Industrie.

Mais Beauval, le Beauval de jadis, fut une douce ville se laissant vivre joyeusement au soleil, et le château des Islettes, à deux kilomètres du centre usinier d’aujourd’hui, garda jusqu’en ces dernières années, avant le morcelage et le lotissement de son grand parc, son caractère de petit château xviiie siècle, réunissant à la fois, dans un cadre de charmilles et de jardins, l’idéal de Boucher et celui de Rousseau.

Voici les Islettes de jadis, les Islettes d’il y a quelques années encore :

À l’extrémité d’une avenue d’ormes chenus, un pont jeté sur un bras de petite rivière qui coule lentement sous les roseaux, les grandes herbes et les plaques jaunes des nénuphars, et au bout du pont une vieille grille de fer d’un dessin rococo, flanquée de deux énormes masses vertes qui sont les ruines de deux grands vases de pierre disparaissant sous un fouillis de lierre, de ronces et de plantes folles grimpant jusque-là du lit de la rivière. Le pont manque un peu de solidité, mais ses lézardes sont masquées par des lianes qui brodent de verdure le parapet branlant. Du côté du parc, une terrasse également lézardée trempant dans l’eau montre une ligne de balustres un peu ébréchée, avec d’autres boules