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Ces vers ne sont pas mal ; je veux les faire chanter demain à la comtesse. J’aurais bien dû amener Méhul à l’armée avec moi. Mais il m’en faut la musique quand même ; à défaut de Méhul, je vais la mettre au concours parmi les chefs de musique des régiments que j’ai sous la main. Je les envoie à Joséphine qui les fera passer dans l’Almanach des Muses.

Pour Joséphine. Je fais une petite variante :

Par les doux yeux de mon amante.
Et je crains moins la tourmente,
Neige des hivers,
Que ces yeux pervers.

Je ne dis point que par moments en attendant que le goujon daignât mordre à ma ligne, je ne me fis pas quelques vagues reproches. Je me disais : « Napoléon, pendant que tu t’amuses, que tu te laisses aller à la douceur de tes penchants naturels, sais-tu bien ce que fait l’ennemi ? Ce vieil enrage de Blücher ne doit pas se reposer, lui ; Pitt et Cobourg doivent méditer un coup ! En voilà par exemple qui se moquent de la naturel

Excellente, cette friture ! J’en ai fait goûter à Berthier et à Ney pour les empêcher de bougonner.

Ce soir j’ai fait avec la comtesse une partie de drogue ; la comtesse ne connaissait pas ce jeu : on ne joue pas à la drogue, dans les salons. Nous nous sommes très amusés.

Ce que nous avons ri en voyant la comtesse avec ses petites chevilles sur son joli nez ! Et elle se fâchait, et elle perdait de plus en plus, et les chevilles continuaient à venir pincer ce délicat petit nez ! Je me suis arrangé de façon à perdre à mon tour pour la faire rire aussi. Berthîer s’est déridé à la fin, et Ney nous faisait des calembours un peu salés que la comtesse ne comprenait pas tout à fait. Bonne soirée. Je me disais cependant : « Attention, tu t’endors dans les roses, comme Annibal ;