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vous point que ceux qui vous appartiennent ne trouvent estrange que vous preniez cette alliance ? Nous ne sommes pas nez pour nous seuls, il faut que bien souvent nous laissions nostre propre contentement pour la satisfaction de ceux qui nous ayment, et qui nous appartiennent, et je vous supplie de retenir cecy pour une chose tres-veritable. Souvenez-vous, mon frere, que le mariage fait ou deffait une personne, afin que vous preniez garde à n'y rien faire à la volée ; mais quand toutes les autres considerations y seroient, et que ceste derniere y deffailliroit, je penserois une personne plus miserable que ceux qui sont condamnez aux chaisnes d'une chourme, ou à servir toute leur vie dans une pile, je veux dire s'il espousoit une personne qui ne l'aymast point, car de tous les tourmens que les plus cruels tyrans ont peu inventer, il ne s'en sçauroit imaginez un plus grand, que de la passer aupres d'une personne qui ne vous ayme point. Figurez-vous, mon frere, quel plaisir ce peut estre de boire et manger, de coucher et dormir avec son ennemy ! Il faut donc que vous sçachiez sa volonté, car si elle estoit distraite ailleurs, ou que, sans en aymer point d'autre, elle n'eust non plus d'amour pour vous, je vous conseillerois d'espouser plustost le tombeau que Diane. Songez bien à toutes ces choses, et me dites ce qu'il vous en semble, et puis je vous diray ce que je juge que vous devez faire.