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moy de vous dire qu'un homme doit bien sacrifier à la Fortune lors qu'il se marie, afin qu'elle luy face rencontrer son bon-heur. Or, mon frere, il faut donc que, sans prendre conseil de vos yeux ny de vos desirs, vous consultiez vostre raison et vostre jugement, et que vous voyez si, outre la beauté de Diane, elle n'a point quelque autre chose qui la puisse rendre desirable, non seulement pour maistresse, mais pour femme aussi, car la beauté n'est ordinairement qu'une trompeuse, et ne sert que de marque, comme à ces logis qui ont de belles enseignes pendues au devant de leur porte, et le plus souvent il n'y a rien dedans qui vaille. La beauté ressemble à ces lunettes qui rendent toutes choses beaucoup plus grandes qu'elles ne sont, à qui les regarde par ce verre trompeur, car la moindre bonne action d'une belle personne nous semble toute parfaicte, et lors que cette beauté qui ne dure qu'autant qu'une belle fleur, vient à se ternir, et que l'on reprend la veue avec la juste proportion de chaque chose, on recognoist bien alors la verité, mais il n'est plus temps, n'estant plus en nostre puissance, de nous en separer. Voylà donc la premiere consideration pour ce qui est de la beauté.

Apres, mon frere, prenez garde de ne rien faire en cecy dequoy vous puissiez avoir quelque reproche : vous estes fils du grand druide. Diane est veritablement accompagnée de beaucoup de merites, mais en fin c'est une bergere, et ne pensez-