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les yeux, et telle est bien agreable pour maistresse, qui est insupportable pour femme. Souvenez-vous que ces feux que l'amour produit s'esteignent bien-tost par l'abondance des faveurs, et soudain apres sont suivis de longues chaisnes d'ennuis que le repentir traine ordinairement apres soy. Mon frere, mon amy, il y a grande difference de l'amour au mariage, parce que l'amour ne dure qu'autant qu'il plaist, mais le mariage se rend d'autant plus long qu'il est plus ennuyeux : le premier, c'est le symbole de la liberté, parce que l'amour ne contraint personne que par la volonté ; au contraire, le mariage, c'est le symbole de la servitude, parce qu'il n'y a que la mort qui en puisse desnouer les liens. Il est vray que lors qu'un mariage est faict entre les personnes telles qu'il doit estre, il n'y a point, à ce que je croy, de plus grand heur entre les mortels, d'autant que tous les contentemens que l'on reçoit sont doubles, et s'augmentent de la moitié, et tous les maux diminuent à mesme proportion. Et puis la misere des vivans estant telle, qu'elle nous sousmet à cent et cent accidens de la fortune, la fidelle compagnie que l'on trouve dans le mariage ayde plus qu'on ne scauroit dire ; soit à les supporter, soit à les éviter, ou à les surmonter. Bref, il est certain qu'il est presque impossible d'avoir un heur entier sans avoir un autre soy-mesme à qui l'on le communique.

Mais, Paris, permettez-