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estimer que la pensée

Qu'elle en peut avoir eue icy,
Ne l'ait pas autant oppressée,
Qu'elle m'a laissé de soucy ?

Cette pensée l'entretint longuement, mais non pas sans l'accompagner de souspirs, et de larmes. Et n'eust esté qu'en fin elle se conduisit sans y penser sur le bord de l'un des bras de Lignon qui environne ce jardin, elle n'en fut pas si tost sortie ; mais la veue de cette riviere qui avoit esté presque presente à tous ses bon-heurs passez, et qui aussi avoit veu naistre le commencement de son extreme malheur, luy toucha l'ame si vivement que, donnant cesse à son promenoir, elle fut contrainte de s'asseoir sur le bord du ruisseau. Et apres, s'estendant toute de son long, et s'appuyant du coude contre terre, se mit la joue dans la main, demeurant si ravie et tellement hors d'elle-mesme, qu'il s'escoula un long espace de temps avant qu'elle peust s'en prendre garde, et lors qu'elle revint de cette pensée, ce fut par le chant d'un berger qui chantoit assez pres de là sur sa cornemuse. Et parce qu'elle s'esveilla avec un grand souspir, s'estonnant elle-mesme de pouvoir vivre avec tant de passion, elle souspira assez bas tels vers :


Sonnet