Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/967

Cette page n’a pas encore été corrigée

loix d'une parfaicte amour ? Tant d'années que tu as veu escouler en servant cette belle, auront-elles porté témoignage de ton affection sans reproche, pour maintenant les dédire par une action imprudente et precipitée, et qui ne te peut asseurer que d'un trop tard repentir? Tu auras donc bien le courage, ô Celadon, de te souvenir de ces paroles : Va t'en desloyal, et garde-toy bien de te faire jamais voir à moy que je ne te le commande. T'en pourras-tu, dis-je, souvenir et ensemble avoir si peu d'affection que d'y oser desobeir ? Non, non, disoit-il alors, mourons, mourons plustost, et portons avec nous dans le tombeau nostre amour innocente, pure et sans reproche.

A ce mot, les larmes aux yeux, elle sortit de la chambre pour aller revoir les lieux où autrefois elle avoit esté si contente, et leur demander conte des souspirs et des desirs que si souvent elle leur avoit donnez en garde. D'abord elle entra dans ce grand jardin, duquel un petit bras de la riviere de Lignon va baignant les quatre costez, et ayant jetté les yeux sur la fontaine qui paroist dans le milieu, et considerant la déesse Ceres qui s'esleve sur le haut de la voûte soustenue sur de grandes colonnes qui, les unes rondes, et les autres carrées, font comme une couronne à l'entour du bassin qui recoit ceste belle source, elle ne peut s'empescher de souspirer tels vers.


Sonnet