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doit adorer ? et peux-tu prendre le temps, estant couchée aupres d'Astrée, à quelque autre occasion qu'à la contempler et à l'admirer ?

Et puis demeurant quelque temps muette : Voilà, reprit-elle incontinent apres, l'extreme injustice de ceux qui conduisent et disposent les choses d'icy-bas. Pourquoy faut-il que cette nymphe insensible ait ce bonheur duquel elle ne sçait jouir, et moy qui en meurs de desir, j'en suis injustement privé ?

Et lors, pliant les bras l'un dans l'autre sur son estomach, elle se recula un pas ou deux sans oster les yeux de dessus cet agreable object, et apres l'avoir quelque temps consideré : Sera-t'il vray, Astrée, dit-elle un peu plus haut, que jamais vous ne me rappellerez aupres de vous, et que sans sçavoir l'occasion de mon bannissement, il faille qu'eternellement estant devant vos yeux, j'y vive comme en estant tres-esloignée ? Mais de qui faut-il que je me plaigne, puis que la fortune m'a plus r'approché de mon bon-heur que le miserable estat où j'estois ne m'avoit jamais permis de le pouvoir esperer ? Et pourquoy n'ay-je le courage de tenter encores la bonne volonté de cette fortune ? Peut-estre qu'elle me veut rendre au plus haut sommet du contentement comme elle avoit pris plaisir de m'ensevelir dans le plus profond centre de l'ennuy et de la tristesse ? Or sus, berger, que ne prens-tu ce cœur qui n'eut pas crainte de hausser ses desirs en lieu si plein de merites, et avec luy, que ne t'approches-