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longuement privée, en faisoit presque autant que le berger, mais avec plus satisfaction d'Astrée, qui aussi ne se pouvoit saouler de veoir Celadon sous le nom d'une fille. Mais la druide eut bien plus d'advantage que Calidon, parce qu'ayant à son costé Astrée, elles pouvoient parler ensemble sans estre ouyes, ce qu'elles firent presque tout le repas.

Et par ce qu'Alexis se prit garde des yeux de Calidon, elle dit à la bergere : N'est-il pas vray, belle Astrée, que le lieu où vous estes vous donne de la peine ? - Je n'advoueray jamais, respondit-elle, que d'estre aupres de vous, qui est le plus grand contentement que je puisse recevoir, me soit de la peine, mais si feray bien que je voudrois que ces yeux importuns qui sont continuellement sur moy, se destournassent ailleurs, ou que tout le corps entier s'en allast si loing, que je n'en eusse point d'incommodité. - La peine que vous souffrez, dit Alexis, est l'un des tributs de vostre beauté, et ne trouvez estrange si les bergers vous aiment, puis que moy qui suis fille, et qui ne vous ay veue que depuis deux ou trois jours, en suis demeurée tellement esprise que je pense que c'est amour.

Et en disant ces paroles, Alexis changea de visage, fust pour l'affection de laquelle elle parloit, fust pour la crainte d'avoir parlé trop clairement. Astrée luy respondit avec un œil riant : Pleust à Dieu, madame, que ceste beauté que vous dites en moy, et que je