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à bon escient et qu'elle le croit bien ainsi, et je prevoy que, si elle ne s'y prend garde, elle ne s'en desfaira pas si aisément qu'elle pense, et je vous diray ce que je croy qu'il en adviendra.

Il faut que vous sçachiez, madame, que Silvandre est un berger incogneu, et qui n'est gueres obligé à la Fortune, puis qu'elle luy a caché et le lieu de sa patrie, et luy a osté la cognoissance, et de son pere et de sa mere, de sorte que Diane, qui est glorieuse autant que bergere de tous ces hameaux, ne se donnera jamais la permission; quelques merites qui soient en Silvandre, de se laisser servir ouvertement par luy, ny mesmes ses parens qui sont des principaux de toutes les rives du mal-heureux Lignon ne souffriront jamais que cela soit. Et toutesfois je voy Silvandre si épris des beautez et des perfections de Diane, que je ferois gageure n'y avoir rien au monde, ny rigueur de la bergere, ny deffence des parens, ny incommodité quelconque qui l'en puisse divertir. Si bien que lors que Diane luy commandera de ne plus parler à elle de la sorte qu'il a fait durant la gageure il se contiendra un peu, mais il sera du tout impossible qu'apres il ne donne de si grandes cognoissances de son affection que, plus on la voudra cacher, plus elle se fera veoir à travers les contraintes et les difficultez. Et je ne vous dis rien, madame, que je n'aye desja predit à Diane, car, l'aymant comme je fais, je serois marrie de luy veoir du desplaisir, et toutesfois je le prevois presque inévitable par le