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permettent-elles de leur baiser la main, sinon à ceux qu'elles aiment ou qu'elles jugent dignes d'estre aimez ? Je ne sçay, bergere, où vous allez chercher ceste coustume que vous dites, que l'on permet ces baisers à ceux que l'on estime peu ; car si vous faites ces faveurs à ceux que vous mesestimez, quelles seront celles que vous ferez à ceux que vous penserez meriter quelque chose ? Croyez moy, mon ennemie, qu'à ce prix il n'y a personne qui ne fust bien aise d'estre mesprisé de ma belle maistresse, s'il luy plaist de continuer, je proteste que je veux bien vivre et mourir dans ce mespris.

Et quant à ce que vous dites, que nostre juge a voulu monstrer en me donnant ce chapeau de fleurs, que les choses aymables qui peuvent estre en moy ne sont que des fleurs qui naissent et meurent en un jour, considerez ce qu'elle y a adjousté, prevoyant bien que peut-estre on pourroit penser ce que vous dites. Nous ordonnons, dit-elle, que Silvandre reprendra son chapeau de fleurs de mes mains, et le portera tousjours à l'avenir, en le renouvellant lors qu'il fletrira, afin que ceste marque luy en demeure eternelle parmy les bergers. Vous semble-t'il, bergere, qu'elle m'ordonne cette couronne afin qu'elle flestrisse dans un jour, puis qu'elle veut que je la porte pour memoire eternelle ? Mais en cecy vous estes excusable, car c'est l'un de ces mysteres que vous n'entendez point en l'amour, et lequel je vous veux expliquer,