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ce qu’ils n’ont point veu, le cœur pense ce qu’il n’a point pensé ? Je parle fort asseurement des choses passées quand il m’en souvient, et des presentes quand je les sçay : mais des futures ? Eh ! mon amy, pour qui me prends-tu ? Penses-tu que ce soit moy qui aye instruict les Sybilles, ou que j’aye esté en leur escole pour apprendre à predire ? Sylvandre mon amy, si tu veux discourir avec moy, parlons des choses dont les hommes peuvent parler, sans entrer dans les secrets des dieux : laissons leur les choses futures, puis qu’ils ont retenu cela en leur partage. Et si tu me demandes, si j’ayme le corps d’Alexis, je te respondray qu’ouy, et de telle sorte (quoy que tu sçaches dire de tes resveries, et de ton amour de l’ame) que si elle n’avoit point de corps, je ne l’aimerois point ; mais quand tu me demanderas ce que je ferois quand ce corps n’aura point d’ame, je te renvoyeray vers ceux qui sçavent predire l’advenir, et si tu veux, tu pourras aller avec eux visiter les destinées, et nous rapporter des nouvelles de leurs conseils. Et moy, cependant que tu feras ce long voyage, je continueray d’aimer le beau corps d’Alexis, non tel qu’il sera d’icy à cent ans, mais tel qu’il est, c’est à dire l’ouvrage des dieux le plus beau, et le plus parfait.

Ainsi disoit Hylas, et Silvandre luy voulut respondre, lorsque suivant le chemin il fallut passer une petite planche, où chacun des bergers