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n’ay point d’esprit, si j’avois aymé feintement ce qui est le plus digne en l’univers d’estre parfaictement aymé, et je donnerois cognoissance de n’avoir point de jugement, si je ne cognoissois bien l’avantage que ma vraye et parfaite affection me donne par dessus la vostre, feinte et si pleine de defauts.

Je veux, bergere, que vous confessiez vous-mesme le contraire de ce que vous me reprochez, et que vous soyez la premiere qui direz, voyant la durée de mon amour et sa perfection, qu’il n’y a point d’affection, pour mal commencée qu’elle soit, et à qui par gageure ou pour passe-temps on se laisse embarquer, qui ne puisse se rendre tres-veritable et tres-asseurée, puis que celle-cy, à qui un gratieux essay a donné naissance, s’est rendue telle en moy, que les années et les siecles qui peuvent mesurer toute l’estendue du temps auront moins de durée en l’univers que ceste affection en mon ame.

Mais, ô mon ennemie, toutes ces considerations et tous ces discours sont bien en vain, ce me semble, puis que ce n’est qu’entre nous que nous debattons à qui aura la victoire, ce n’est pas là où gist la difficulté. Je ne doute point que ce chapeau de fleurs que j’ay mis aux pieds de Diane ne me fust acquis avec raison, s’il falloit que quelqu’un de nous eust ceste victoire que nous pretendons. Mais helas, ô Phillis ! j’ay grand peur, et ce n’est pas sans raison, si je crains