qu’elle-mesme. Et il est vray que j’y suis plus souvent, car elle, quelquefois se divertit par la presence des autres bergeres, quelquefois pour parler à elles, et quelquefois pour leur rendre les devoirs d’amitié et de courtoisie, et quelquefois pour les soucis des affaires domestiques, au lieu que moy, je suis continuellement attaché aupres d’elle comme Promethée sur son rocher, ou plustost comme le corps et l’ame le sont ensemble par les liens de la vie ; car il n’est pas plus naturel au corps de mourir aussi tost que l’ame s’en separe, qu’il seroit asseuré que je mourrois, si je me separois un moment de cette belle pensée.
Je voy bien, bergere, que vous riez de m’ouyr dire que je suis continuellement aupres de ma maistresse, puis que vous croyez que cela n’estant que de la pensée, je suis personne qui me contente fort des imaginations. Que voulez-vous, Phillis, que j’y fasse ? J’avoue que si j’y pouvois estre et de la pensée et du corps, je serois encore plus content ; mais si vous diray-je bien que de la façon que j’y suis, j’y suis plus parfaictement que vous, puis que le plus souvent que vous y estes de la presence, vous en estes infiniment esloignée par la pensée, qui vous emporte ordinairement fort loing de là, ne laissant où il semble que vous soyez, que le corps, qui est la moindre partie de vous, au lieu que la mienne n’ayant ny desir, ny contentement qu’aupres d’elle, elle n’en part jamais,