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que vous venez de dire ; et en voicy les mesmes mots. La beauté, dites-vous, a des traits si violents que bien souvent elle clost les yeux à ceux qui la voyent, et faict passer leurs desirs beaucoup plus outre qu’il n’est raisonnable. Si donc ce qui est beau et bon ne peut estre veu sans estre aimé, et si l’amour est beau et bon, pourquoy appellez-vous en moy arrogance, ce qui est raisonnable en tout autre, disant que c’est une temeraire pretention que celle que j’ay, aymant cette belle, de pouvoir estre aymé d’elle, puis que, si elle cognoist mon amour, et l’amour estant bon, comment voulez-vous qu’elle cognoisse en moy ce qui est bon sans l’aimer ? Ce seroit un deffaut en elle de jugement, lequel je ne pense pas que personne que vous luy puisse reprocher.

Advouez donc, Phillis, si vous ne voulez l’outrager grandement, que, cognoissant l’amour que je luy porte, elle l’aime, et que ma pretention n’est point outrecuidée, ny moy un monstre si difforme que vous me depeignez. Que si vous m’opposez que cette raison ne preuve qu’elle m’ayme, mais seulement l’amour que je luy porte, je vous responds, bergere, que cette amour que sa beauté a produit en moy, est un accident inseparable de mon ame, de telle sorte que l’une ne peut subsister sans l’autre. Et quand je dirois qu’ils sont tellement changez l’un en l’autre, que mon ame est cette amour et cette amour est mon ame, je dirois une verité tres-certaine,