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d’elle que moy ? Puis que, quand je n’aurois aucun advantage par dessus ce que tu peux valoir, encores ne me scaurois-tu nier que chacun naturellement ne soit incliné à aymer son semblable, et moy, estant fille comme nostre maistresse, il est certain que naturellement elle me doit aymer d’avantage.

Mais, outre cela, qu’est-ce qui peut faire naistre l’amour que la longue et ordinaire pratique ? c’est par elle que les perfections sont mieux recogneues, c’est par elle que les merites estans recogneus, l’amour va jettant ses racines plus profondes ; et c’est par elle que les occasions se presentent à chasque moment de se rendre les reciproques devoirs, qui sont les veritables nourrices d’une parfaite et entiere affection. Or, que je n’aye cette ordinaire conversation avec elle, et que je ne l’aye eue de tout temps plus particuliere que toy, mal-aisément le pourras-tu nier, puis qu’elle mesme le sçait, et qu’elle te pourra à l’heure mesme convaincre de mensonge.

Mais outre toutes ces raisons, je t’en vay dire une qui te doit clorre la bouche, si pour le moins l’outrecuidance t’a laissé encore quelque partie de l’entendement que tu soulois avoir. Ne m’advoueras-tu pas que ce qui est de plus beau et de plus parfaict, est aussi plus aymable et plus estimable ? Te voicy, berger, pris en un facheux destroit ; si tu l’advoues, ta cause est perdue, et si tu le nies, quelle offence ne fais-tu pas à nostre maistresse ?