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nomment Diane leur maistresse, et qu’ils la servent et luy rendent les devoirs ausquels la beauté et les merites de cette bergere peuvent obliger tous les bergers qui la voyent. Et encores que je sçache asseurément que vous n’aurez point trouvé estrange que ce jeune berger, ayant l’esprit et le jugement que vous luy avez recogneu, ayme et serve une si belle et aymable bergere que Diane, je veux croire que vous ne serez pas demeurée sans estonnement de voir que Phillis, qui est bergere, la serve comme si elle estoit un berger, et use envers elle des mesmes paroles et des mesmes actions que les plus ardentes passions peuvent faire produire dans le cœur d’un amant le plus affectionné, parce que ce n’est pas la coustume de voir une fille servir avec de semblables soings une autre fille. Mais afin que vous sortiez de cet estonnement, il faut que vous sçachiez que Silvandre, tel que vous le voyez, avoit vescu parmy toutes ces belles et jeunes bergeres si longuement, sans en aymer pas une, qu’il s’estoit acquis le nom d’INSENSIBLE, n’y ayant personne qui le peut croire avoir du sentiment, et n’espreuver point la force de ces jeunes beautez.

Et parce que quelques-uns s’en estonnoient, et que plusieurs l’admiroient, Phillis, comme l’une de celles qui ne se pouvoient imaginer qu’il n’y eust quelque deffaut en ce gentil berger, qui estant jeune et beau, et vivant parmy tant de bergeres qui meritoient