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froid et sans vie. Mais s’il est vray que tu me fasses l’honneur de m’aymer, et que tu sois encores ce grand roy, qui as fait trembler l’Italie au bruit de tes armes, je dis cette Italie, qui autresfois a sousmis tout l’univers sous les siennes, fay-le voir aujourd’huy, en me rendant non seulement la liberté, mais me redonnant à celuy à qui je suis, et duquel je ne puis estre separée que par la mort. Tu acquerras ainsi le nom de juste, en rendant possesseur de son bien celuy qui en a esté despouillé injustement, et le tiltre de magnanime, en te surmontant toy-mesme, toy ; dis-je, qui jusques icy, as esté invincible. Si tu ne le faits, attends, ô Roy ! la vengeance asseurée des dieux qui te regardent à cette heure du Ciel, pour voir comme tu te comporteras en cette action, pour luy donner ou chastiment ou loyer !

Et vous, continua-t’elle, se tournant contre le tombeau, o parfaictes ames, qui avez ressenty, cependant que vous viviez, peut-estre les mesmes infortunes qui me travaillent, compatissez à mon mal, et ne permettez point qu’aujourd’huy, devant une si solemnelle assemblée, j’embrasse en vain vostre tombeau, et que je vous reclame sans secours.

Ainsi acheva Cryseide, et embrassant de nouveau le coin de la sepulture, elle tenoit de l’autre main le couteau contre son estomach, prest à s’en donner dans le cœur, si elle voyoit que quelqu’un la voulust