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des chevaux pour Clarine, pour toy et pour moy, et c’est ce que je vois de plus difficile, car en qui te pourras-tu fier pour les tenir ? – N’en soyez en peine, respondit-il, je les feray tenir à tel qui ne sçaura pourquoy il le faict. Mais le grand empeschement, c’est que je n’ay pas dequoy acheter les chevaux, ny avoir le batteau, et pour vous faire faire des habits comme ceux des femmes de cette contrée, car les soldats m’ont pris tout ce que j’avois et à mon maistre aussi. – Ne te soucie point de cela, dict Cryseide, j’ay encores quantité de bagues. Et s’en tirant une du doigt, luy donna un diamant de valeur : Va, dit-elle, amy, vends-la, et si celle-là ne suffit, je t’en donneray d’autres.

Mais il ne sert à rien de raconter par le menu toutes ces particularitez. Bellaris fait faire les habits, achete les chevaux, trouve le batteau, et le tout avec une si grande diligence que, deux jours apres, tout fut reduit en estat tel qu’on eust sceu desirer. Cependant il avoit remarqué le lieu où il falloit passer, et où les chevaux les attendraient ; et parce que la chaisne estoit soustenue sur des batteaux, qui de temps en temps y estoient attachez à travers la riviere, une nuict auparavant il y alla travailler, de sorte que destachant à moitié l’un des batteaux, il ne tenoit qu’à fort peu de certains anneaux, au travers desquels les chaisnes passoient.

Toute chose estant ainsi, Cryseide ayant pris