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leur fit couper là leur discours pour ceste heure. Et parce que Cryseide desiroit avec passion de parler au fidelle Bellaris, elle mit en avant durant le repas, qu’il faisoit beau temps, qu’il seroit bon de s’aller promener comme de coustume, pour tromper d’autant plus l’ennuy de leur detention. Chacune en fut d’avis, et le faisant dire à ceux qui les avoient en garde, quelques heures apres le disner, elles y furent conduites toutes ensemble. Soudain que Bellaris les vit entrer dans le batteau, car il ne falloit presque que passer l’Arar de leur logis pour venir à ces jardins, il gaigna le devant, et entrant dedans, fit semblant de se promener à grands pas dans une allée, qui estoit la plus pres de la porte, ayant tousjours l’œil quand elles entreroient. Lors que ces dames s’alloient promener, Clarine ny les autres filles de chambre n’y alloient point, mais pouvoient s’en aller par la ville avec quelqu’une des gardes ; cela fut cause qu’à ce coup Cryseide estoit seule.

Dés qu’elle mit le pied dans le jardin, jettant l’œil de tous costez, elle apperceut incontinent Bellaris, et luy, feignant d’estre curieux de les voir, s’avança jusques au milieu de l’allée à leur rencontre, et puis s’arrestant, les consideroit l’une apres l’autre avec un œil de compassion, et pour se les acquerir favorables, il disoit quelquefois assez haut en langage italien. O quelle perte a fait la Gaule Cisalpine, estant despouillée de tant de belles et vertueuses dames ! Mais quand Cryseide passa :