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yeux et le jugement, puis qu’estant devant moy, et ayant ouy sa voix, je ne l’ay cogneu ny au visage ny à la parole ? Seroit-il bien possible que ce fust quelqu’autre qui sçachant l’affection que je portois à Arimant, m’ait voulu donner ces nouvelles pour se mocquer de moy ?

Et sur ceste pensée demeurant grandement pensive, elle reprenoit le livre, et consideroit les effaceures des lettres, et voyant qu’elles estoient faictes comme Arimant avoit accoustumé, et mesme que là où finissoit l’effaceure, afin de ne donner point la peine de chercher plus avant, il souloit y mettre une fermesse, et l’y voyant du mesme traict dont Arimant la souloit faire, elle dit : Non, non, ou mes yeux me trompent, ou c’est Arimant qui a marqué ces lettres, et faict ce chiffre à la fin ! O dieux que vous estes bons de m’avoir prolongé la vie jusques à ce que j’aye peu sçavoir ces bonnes nouvelles ! Je vous en remercie, ô souveraine bonté, et ne vous en demande qu’autant encores qu’il m’en peut falloir pour le voir avec ces yeux qui l’ont tant pleuré, et le baiser avec ceste bouche qui l’a tant et si longuement plaint !

Elle eust continué d’avantage, si Clarine qui, quelque fortune qu’elle eust courue, ne l’avoit jamais abandonnée, ne la fust venu appeller pour se mettre à table, où desja toutes ses compagnes l’attendoient. Elle va donc à la porte, et l’ayant ouverte : Ah ! Clarine, luy dit-elle, en la baisant au front, et luy parlant