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nous donnera aussi bien la liberté, que jusques icy par sa vertu nostre pudicité nous a esté conservée.

Voylà, Hylas ! ce que vous avez desiré de sçavoir de moy et de ma fortune, laquelle je m’asseure vous ne trouverez pas peu estrange, puis qu’apres tant de travaux, et lorsqu’il sembloit que je devois par raison esperer quelque repos, et quelque contentement au cours de ma vie, le Ciel au contraire m’a voulu oster la liberté, et tout ce que j’avois jamais aymé, qui sont les deux choses les plus estimées et les plus cheres entre les hommes, ne me laissant la vie que pour me faire mieux et plus longuement ressentir la perte qu’elle m’a fait faire, et le miserable estat où elle m’a réduite.

Ainsi la belle Cryseide, dit Hylas, fondant toute en pleurs, m’alloit racontant sa fortune, et j’avois pris tant de plaisir au recit qu’elle m’en avoit faict, qu’il ne me sembloit point qu’il y eust un quart d’heure qu’elle eust commencé à me le raconter, et toutesfois il se trouva estre si tard, que toutes ses compagnes se voulurent retirer. Je les accompagnay jusques sur le bord de l’Arar, où les aydant à monter sur des petits batteaux pour passer de l’autre costé, je ne peus m’en retirer qu’elles ne fussent de l’autre costé du fleuve, tant la veue de cette belle estrangere m’estoit douce et agreable. Je me retiray en fin plus remply d’amour que je