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courus toute effrayée vers luy, mais je trouvay que le sang estoit desja estanché, et le chirurgien me pria de le laisser en repos pour toute la nuict, que le mal n’estoit pas grand, mais qu’il le pourroit devenir si l’on n’y prenoit garde.

Je fus donc contrainte de me retirer sans le voir, et je vous supplie, Hylas, considérez ce que peut l’amour ! Le jour precedent, que je n’avois faict que la moitié du chemin, j’estois si lassée, et si outrée de sommeil, que je ne pouvois tenir les yeux ouverts, et à ce coup que j’en avois fait encore autant, je ne peus clorre l’oeil de toute la nuict, mais de temps en temps j’envoyois sçavoir comme se portoit Arimant, sans reposer, que le matin qu’il me fut permis de le voir. – Et quoy, mon frere, luy dis-je, vous vous estes trouvé mal, et vous ne vouliez pas nous le dire ? – Je sentois bien, me dit-il en sousriant, que mes playes saignoient, mais je vous advoue que j’estois bien aise de perdre un peu de sang pour vous, en eschange de celuy que vous avés employé pour moy. – Ah ! luy dis-je, mon frere, nos desseins estoient bien differents ; car, alors que j’ay perdu le mien, c’estoit pour me conserver à vous, et vous à cette heure vous perdiez le vostre pour vous ravir à moy.

Mais, Hylas, que vay-je vous racontant toutes ces choses par le menu, puis que ce temps qu’entre tous ceux de ma vie, je puis dire avoir esté le seul heureux, est tellement changé qu’il