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il fit faire trois habits de marchands en toute diligence, et puis passant par un bois, ils les vestirent et serrerent les leurs dans des malles, pour les reprendre quand il serait necessaire. Et ainsi revestus et se desguisans le mieux qu’ils pouvoient, ils entrerent dans la ville où j’estois, et se logerent en une hostellerie la plus voisine de la porte. Quant à luy, il tint le logis tout le reste du jour, mais il envoya ses valets apprendre des nouvelles et entre autres commanda à celuy qui m’avoit apporté des siennes, qu’il sceust comme je me portois, et qu’il vist Clarine s’il estoit possible.

Ce jeune homme s’acquitta fort bien de la commission qu’il luy avoit donnée, et le soir l’un et l’autre luy revindrent dire tout ce qu’ils avoient appris. Celuy qu’il avoit envoyé en mon logis, luy dit qu’il avoit veu Clarine, et qu’il avoit parlé quelque temps à elle, sans qu’elle le recogneust, et qu’en fin s’estant faict cognoistre, elle l’avoit mené vers sa maistresse qui estoit encores au lict revenue de la foiblesse, pour la grande perte de sang qu’elle avoit faicte. Et là, se mettant sur mes louanges, luy juroit ne m’avoir jamais veue si belle, parce que j’estois plus blanche, et le teint si beau qu’il ne se pouvoit rien voir de semblable. Et puis luy raconta que de fortune estant toute seule, il avoit eu loisir de m’entretenir fort au long, et de me dire comme il s’estoit deguisé pour n’estre recogneu de Rithimer, ou de quelqu’un des siens, le redoutant grandement à cause de la vieille