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mort, et qu’elle choisira plustost le tombeau, que luy. – Et pensez-vous, respondit Rithimer, que Clorange soit cause d’une si genereuse action ? – N’en doutez point, seigneur, repliqua-t’elle, et si vous en voulez voir la verité, prenez garde au changement de visage qu’elle fera lors que je le luy diray à l’oreille. Alors s’approchans tous deux du lict, et faisans retirer chacun d’autour de moy, elle me dit tout bas : Cryseide, consolez-vous, Rithimer jure par la vie d’Anthemius, que vous n’espouserez jamais Clorange.

J’estois si foible que je ne pouvois mouvoir que les yeux, mais cette bonne nouvelle me toucha de sorte que les eslevant au Ciel, il sembloit que je le remerciasse d’une si grande grace : et puis les tournant vers Rithimer, je m’efforçay de luy dire : Seigneur, sera-t’il vray ? – Ouy, ma mignonne, me dit-il, et je le vous jure, non seulement par Anthemius, mais par le chef de mon pere, et par tout ce qui me peut estre plus sainct. – Je vivray donc, repliquay-je – Vivez, me respondit-il, et soyez certaine que je consentiray plustost à ma mort qu’au contraire de ce que je vous ay promis.

A ce mot je changeay toute de visage, et deslors on me vit reprendre la vigueur comme par miracle. Rithimer admira ceste resolution en moy, et appellant sa femme et ma mere : Voyez-vous, leur dit-il, qu’on ne parle plus du mariage de Cryseide et de Clorange, je jure que je consentiray plustost à la