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yeux commencerent à me troubler, et le cœur à me deffaillir, de sorte que je perdis toute cognoissance. Je me souviens toutesfois que ma derniere imagination fut que, regrettant Arimant, et rien que luy seul, je dis assez haut : Fortune enfin la victoire est mienne !

Depuis ce mot là, je demeuray comme morte, et sans doute c’estoit fait de ma vie, si Clarine ne fust entrée dans la chambre, qui, sçachant bien que tout mon mal procedoit du desplaisir que j’avois de perdre Arimant, me venoit apporter de ses nouvelles, ayant eu de ses lettres par celuy qui m’en avoit apporté l’autre fois. Mais quand elle ouvrit les rideaux, et qu’elle vit tout en sang alentour de moy, car les fenestres mal closes laissoient entrer assez de clarté pour le voir, ô dieux ! quel cry fit-elle ! Il fut tel que ceux qui estoient dans la chambre de ma mere qui touchoit celle où j’estois, s’effrayerent de l’ouyr, et accoururent, pour en scavoir le subject. O dieux ! s’escrioit-elle, elle est morte ! Cryseide est morte ! Et battant des mains, et puis s’arrachant le poil, elle couroit par la chambre sans scavoir ce qu’elle faisoit.

Les fenestres furent incontinent ouvertes, et chacun accourut autour de moy. Ils virent bien que j’estois toute en sang, mais ne se pouvans imaginer qu’il vinst du bras, ils furent long-temps à chercher la blessure. Clarine cependant jettant la main sur le mouchoir, et le desployant, vit ce que j’y avois marqué du doigt,