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c’est d’envie. – Je n’eusse jamais pensé, respondis-je, qu’une personne pleine de merite peust porter envie à quelqu’un. Mais de qui et de quoy estes-vous envieux ? – De vostre chariot, me dit-il, qui va vers les Libicins, et qu’il ne me soit permis d’y aller, encore que ce soit ma patrie. – Et quoy ? repliquay-je, estes-vous si amateur de vostre patrie, que mesme vous portiez envie à une chose insensible ? – Que voulez-vous que je fasse, me dit-il, si mesme ces choses que vous me dites sont plus heureuses que moy ? – Le Ciel, adjoutay-je, fait toutes choses pour le mieux. – C’est la consolation, respondit-il, qu’on donne tousjours aux malheureux ; toutesfois je vous asseure que ce mieux-là ne sera jamais tant desiré de moy que son contraire. – Les malades aussi, luy dis-je, en font de mesme : ils trouvent les medecines améres, et l’on leur donne pour leur salut le plus souvent le contraire de ce qu’ils desirent. – Il y a bien de la difference, me respondit-il, des maladies du corps à celles de l’esprit ; car celles du corps se guerissent par leurs contraires, et celles de l’esprit par la possession de la chose qui luy fait le mal. Si l’ambition nous blesse, y a-t’il quelque meilleur remede pour en guerir, que de posseder la chose qui est ambitionnée ? Si la beauté nous offense, rien ne nous peut guerir si promptement que la possession de cette mesme beauté ; et c’est pourquoy l’on dit que les desirs assouvis au commencement