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lors qu’Amour eut obtenu ceste victoire ! Tant que je ne l’aimay point, je me souciois fort peu que chacun recogneust l’affection qu’il me portoit ; au contraire, j’estois presque bien aise que l’on la sceust, me semblant que plus il avoit de passion pour moy, plus aussi recognoissoit-on ce que je vallois. Mais aussi-tost que je l’aimay, je ne scaurois vous dire combien j’estois offencée de la moindre cognoissance qu’il en donnoit, de façon que toutes les fois que je pouvois parler à luy, c’estoit ce que sur toute chose je luy recommandois ; je veux dire de se taire et d’estre secret, et c’estoit aussi de ce qu’il se plaignoit en ces vers qu’il chanta à ceste fois, sous ma fenestre.

Nos affaires estans en cest estat, et nos bonnes volontez s’augmentant de jour à autre, nous ne cherchions que les occasions de nous les tesmoigner d’avantage ; mais les contraintes avec lesquelles les filles sont de-là les monts tenues comme prisonnieres, nous donnoient tant d’empeschemens, qu’il nous estoit impossible de nous voir que par hazard, ny de nous parler qu’en presence d’un chascun, et encores fort peu souvent. Cela fut cause qu’il jugea qu’une femme assez vieille et qui gaignoit sa vie à porter par les maisons de la toille, et des passemens, pourrait me donner secrettement de ses lettres, et que par ce moyen nous pourrions, pour le moins, parler par l’escriture, si ce n’estoit de vive voix. Il la gaigna aisément