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fortune. – Telle, luy respondit-elle, que celle de la contrée où elle est née.

Cette response estoit fort obscure, mais quelques années apres elle repassa encores en ce mesme lieu, et ma mere plus curieuse, la pressant d’esclaircir ce qu’elle avoit predit de moy, elle luy dit : Cette fille aura la mesme fortune que la contrée où elle nasquit. Les Romains à cause de l’or qui s’y trouve, en ont travaillé par tant de guerres et de travaux les habitans, qu’ils l’ont presque dépeuplée, et ainsi son abondance est cause de sa pauvreté et de ses travaux, de mesme ceste fille sera travaillée de grandes fortunes pour la beauté et les merites qui sont en elle. Et à la verité il falloit que cette druide fust tres-sçavante, car depuis je ne sçay , si j’en dois accuser le subject qu’elle dit, tant y a que jamais fille ne fut plus traversée de la fortune que moy, comme vous pourrez juger par le discours que j’ay à vous faire.

Je nasquis doncques parmy les Salastes, dans une ville nommée Eporedes, assise entre deux grandes colines, où passe la riviere dite Doire Baltée. Mon pere se nommoit Leandre, et ma mère Lucie ; et quoy que ma propre louange ne soit pas bien seante en ma bouche ; si faut-il, pour vous faire entendre la suitte de ce discours, que vous sçachiez qu’en toute la contrée il n’y avoit personne qui ne cedast à mon pere, fust pour le bien, fust pour la grandeur et ancienneté de sa race,