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quand Florice partit, et plus encore quand je vis que son sejour estoit si long, car il est certain que je n’ay jamais appreuvé ces amours qui se nourrissent de la pensée et de l’imagination.

Et parce que je me souvins qu’estant petit enfant, lors que par mesgarde je m’estois bruslé le doigt, ceux qui avoient le soing de ma conduite me le faisoient rapprocher du feu, et comme s’ils eussent voulu faire brusler la bruslure mesme, me contraignant de l’y tenir, jusques à ce que les larmes m’en venoient aux yeux, je pensay qu’amour estant, ainsi qu’on dit, un feu qui m’avoit bruslé, il falloit chercher un autre feu, et pour guerir de ma première bruslure, en faire presque une nouvelle. Cette resolution fut cause que par tout où je sçavois qu’il y avoit quelque belle dame, je m’y en allois pour m’y rebrusler ; enfin le Ciel qui ordinairement favorise les desseins qui sont justes me fit rencontrer le feu qui m’estoit necessaire.

Un soir je me trouvay sans autre dessein que de laisser passer le reste du jour prés du pont de l’Arar, dans la place qui le touche et qui descouvre d’un bout à l’autre de ce pont. Et de fortune, y jettant les yeux, j’apperceus venir au grand trot trois chariots descouverts, chacun tiré par six chevaux ; et parce que c’estoit un equipage que nous n’avions guiere accoustumé, je me mis en lieu commode pour les voir passer. Dans chacun il y avoit quatre dames vestues tout autrement que les nostres :