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ny compassion, mais amour et passion que je desire d’elle, et c’est ce que pour moy tu ne verras jamais en son ame.

- O Dieux ! s’escria l’escuyer, et à quoy estes-vous reduit, puis que vous estes vous-mesme le plus cruel ennemy que vous ayez ? Je n’eusse jamais pensé qu’un déplaisir eust peu de cette sorte changer le jugement. Mais soit ainsi que Madonte ne vous ayme point, si toutesfois vaincu d’amour, vous en desurez les bonnes graces, quelle apparence y a-t’il que vous deviez aller où elle est, et non pas fuyr comme vous faites, et les hommes et les lieux habitez ? - Puis, dit-il, que la haine s’augmente, plus on void la chose haye, ne fuy-je pas avec raison la veue de Madonte en ayant recogneu la haine ? Et si, estant privé de ce qu’on desire ; tout ce que l’on voit est desagreable, pourquoy trouves-tu tant estrange que ne pouvant voir Madonte, je ne vueille voir personne ? Ne sois point si cruel, Halladin, que de me ravir encores ce peu de soulagement qui me reste. - Mais qu’est-ce, seigneur, repliqua l’escuyer, que vous cherchez en ces lieux champestres et sauvages ? - La mort, dit le chevalier, car c’est d’elle seule que j’espere quelque allegement. - Si cela est, adjousta l’escuyer, encor vaudroit-il mieux aller mourir devant les yeux de Madonte, pour luy faire voir que vous mourez pour elle, que non pas de languir comme vous faites parmy les rochers et les bois solitaires, sans que personne le sçache. -